Bon sans organiser un symposium sur le sujet (quoi que
), voilà ressorti des tréfonds de l'Oubli, un des délires habituels de Chronos
(mégalo un jours, mégalo toujours
, enfin sans vouloir se répéter, le roleplay melnibonéen ne se prète pas à un discret effacement
)
Sur la Frontière…
Sur la Frontière, j’attends, sans rêve, juste légèrement importuné par le flux du Temps qui, timidement m’effleure, tel un petit animal, curieux de trouver une telle incongruité sur son chemin.
Sur la Frontière, j’attends, entre Ténèbres et Lumière, en ce lieu qui n’est point l’Ombre, et j'observe placidement les lentes fluctuations de leurs apparentes oppositions. Non que ces dernières aient particulièrement quelque intérêt, mais peut-être est-ce un signe; le signe de la venue d’une grande bataille.
J’attends patiemment, même si je ne l’espère, non plus que je le craigne. Cela fait si longtemps que plus rien n’ai ressenti, peut-être depuis qu’entre ces deux domaines je réside ; si longtemps que souvent je ne peux croire avoir été en un autre lieu, et que je me demande si même je pourrais avoir quelque existence en dehors de ce non-Espace. Finalement ces questions n’ont guère plus d’intérêt. Je suis si vide… Mon âme, mon cœur et mon esprit ne sont qu’insondable vacuité, sauf… sauf lorsque résonne le chant des armes sur la Frontière.
Mais généralement ce ne sont qu’escarmouches entre avant-gardes de ces deux armées, seulement un éphémère instant voyant l’extension de mon domaine, lorsque Ténèbres et Lumière se mêlent. Et durant une seconde d’éternité, à nouveau, je sens les énergies des ces deux faces opposées, en moi s’introduire et fondre leur dualité. Alors je continue à attendre sur la Frontière, l’Equilibre n’étant pas en danger; il n’est pas encore temps de reprendre le combat, même si j’aimerais faire cesser ces inutiles fracas.
Non le temps n’est point encore venu de semer Mort et Désolation, et cela me convient…Je ne veux à nouveau être impliqué dans leurs vains et incessants conflits, parce que j’en connais tant parmi eux, certains depuis la première bataille, et les ai tués si souvent par delà tant de cycles, qu’à nouveau, vivants sans plus que de vagues souvenirs éthérés, ils ne savent s’ils doivent me nommer frère d’arme ou bien traître. Il fut un temps où j’étais heureux de les revoir, même s’ils n’étaient tout à fait ceux qui à mes côtés combattirent. Il fut un temps où je préférais vivre au cœur du fracas des sanglantes batailles, quelque soit le camp que j’eus défendu, plutôt que d’attendre, oisif, sur la Frontière…
Il fut un temps… Mais désormais, seul j’aimerais rester, sur la Frontière, en mon domaine. Ne plus les voir s’entretuer, ne plus les sentir me chercher dans les Ombres, avec espoir ou anxiété, selon le sort des armes ; ne plus devoir encore me ranger dans le camp en déroute…
Toujours, ils me cherchent dans les Ombres, mais ils n’appartiennent qu’aux Ténèbres ou à la Lumière, et moi j’émane des deux… ou peut-être d’aucun. Ils espèrent ou sont effrayés par ma venue sur le champ de bataille, mais je suis déjà là ; ils ne peuvent juste me voir si je n’en ai le Vouloir. Pourquoi ne peuvent-ils comprendre que leur interaction seule étend mon Domaine, leur enchevêtrement seul donne du volume à cet improbable place où je suis Maître, impartial mais létal Seigneur ? Leur combat ressemble à une éclipse, un bref instant entre jour et nuit, et en ce temps, seulement je prends forme, une forme de pure destruction, non par mon propre Vouloir, mais car telle est ma nature et ma tâche, ma seule tâche de toute éternité. Et pour préserver l’Equilibre, entre Ténèbres et Lumière, j’ai tout Pouvoir… du moins sur la Frontière.
Pourquoi ne peuvent-ils donc comprendre qu’aucun camp ne peut vaincre ici, sur la Frontière, du moins tant que je remplirai mon Devoir. Peut-être espèrent-ils simplement que je finirai par périr ? Evidemment ceci ne saurait être, je ne suis pas vivant, ou alors juste si peu, lorsque je moissonne leurs âmes. En fait je suis probablement une part intégrante de ce lieu qui lui-même sera, aussi longtemps que Ténèbres et Lumière existeront. Comme les champions de ces deux insatiables Puissances ne sauraient définitivement vaincre tant que je préserve l’Equilibre, alors… Alors j’attends sur la Frontière, tandis qu’ils préparent certainement la prochaine inutile bataille.
J’attends sur la Frontière, et hélas je le sais, les voici à nouveau venir. J’aimerais pouvoir les laisser s’entretuer jusqu’au dernier, mais même dans leurs rapports de force, jamais ne se trouve l’Equilibre. Je voudrais au moins atteindre ces Seigneurs qui décident des batailles, mais il y a bien longtemps qu’ils ont appris à se tenir en dehors de mon Domaine, peut-être ont-ils perçu mon désir et l’essence de mes pouvoirs, ou du moins juste leur limite. Dans ce cas, leur prodigalité à envoyer leurs troupes à la mort me semble d’un révoltant cynisme. Serait-ce possible que la colère me gagne ? Cela ne se peut, je ne suis pas vivant, pas encore. Parfois je les soupçonne d’essayer de me détruire, alors même que j’accomplis ma part de combat sous leur propre bannière. Pourquoi pas ? Nous ne sommes pas réels alliés, ou si ponctuellement… Je ne me fais aucune illusion, même si je pouvais faucher tous ces seigneurs de la guerre, il y en aurait bien vite d’autres. Ce ne serait qu’un intermède, tout juste quelques siècles, pas même une seconde en mon éternité.
Oui je le sais, ils sont en train de revenir, et finalement, une nouvelle fois, parmi eux je marcherai, et ma récolte d’âmes prendrai. Je pourrais sans effort ni remord passer dans leurs rangs, invisible au sein du Temps fragmenté, et en chaque segment de ce non-Temps, les démembrer comme de pathétiques pantins figés. Mais je ne le ferai point ; je continuerai de tracer mon mortel sillon, sans hâte, espérant qu’effrayés ils se retirent prestement jusqu’à ce que je sois à nouveau seul sur la Frontière. Et la glaciale facette de mon esprit fera scrupuleusement le compte des âmes nécessaire à la restauration de l’Equilibre, pendant qu’une autre partie de mon cœur, revenant douloureusement à la vie, versera des larmes de sang, qui rouleront, figées, tels de sombres rubis, lorsque brièvement je plongerai dans le Temps fragmenté pour éviter une de leurs vaines et rares répliques.
Une nouvelle fois, je serai surpris d’entendre les cris de guerre des Chevaliers du Chaos, s’élevant au dessus du chant de bataille en communion avec le chant sauvage de ma lame, même lorsque ce sont leurs rangs qui se trouvent décimés, comme si elle était une sœur perdue, qu’ils espèrent avec passion, même dans la mort. Et je serai de nouveau attristé par les malédictions des Champions de l’Ordre, s’il advenait que je rejoignisse leurs adversaires, ou même par leur suspicion et leurs ressentiments quand je dois m’engager à leur côté. Pour les deux camps, je suppose, mes engagements contraires sont autant de signes de mes affinités avec le Chaos. Peut-être ont-ils raison, car même si je préfère combattre pour l’Ordre, je sais parfaitement que l’Ordre Ultime finalement conduit à une totale Entropie et que le Chaos Absolu n’est qu’instable bouillonnement qui autoriserait encore une infinité de possibilités. Aurais-je fais mon Choix ? Ou ont-ils choisi pour moi ? Ai-je jamais eu quelque choix, sinon préserver l’Equilibre, ici, sur la Frontière ?
Mais que se passe-t-il ? Pourquoi ces états d’âme m’assaillent-ils ? Là, l’Ultime Bataille a commencé sur la Frontière. Cette fois, point, n’attendrai qu’ils mettent en danger l’Equilibre… Déjà je m’immerge dans le Temps fragmenté et je marche sur le cœur de la bataille. Ma spectrale compagne s’abat comme un sombre et mortel éclair, sans discrimination, ses doubles aspects brisant les adamantines cuirasses des Champions de l’Ordre aussi aisément que les métamorphiques armures des Chevaliers du Chaos, comme autant d’improbables jouets. Ils sèment sans trêve la Désolation dans les deux camps, rejetant, mêlés, les combattants mourrant vers les deux états-majors ennemis, constituant deux sinistres et sanglantes ellipses assujetties à mon Domaine. Et émergeant du non-Temps pour prendre une brève inspiration, cruellement je constate leur terreur, puis leurs puérils efforts pour se retirer, tandis que déjà les jumeaux aspects de l’Epée de l’Equilibre effectuent leur tranquille besogne : l’Entropie drainant l’existence des uns, tandis que le Chaos originel rappellent les autres en son sein.
Bien vite tout est fini ; nul mouvement sur le champ de bataille, aucun seigneurs de la guerre fuyant en vain. Je suis seul, et je commence à rêver, à rêver d’un temps où ne seraient plus les deux immuables adversaires, un temps où Ténèbres et Lumière ne seraient plus totalement séparées, un temps de tolérance sans deux factions perpétuellement en conflit. Maintenant, oui, j’ai du temps pour rêver sur la Frontière…
Et je m’éveille ; étrange rêve, n’est-il pas ? Il n’y a plus de Domaines des Ténèbres ou de la Lumière, plus d’armées de l’Ordre et du Chaos, ni leurs ponctuels et circonscrits bipolaires affrontements. Ont-ils même jamais existés ? Mais partout, continuellement, nous pouvons entendre le fracas effroyable des armes, sentir le goût du sang et constater les œuvres de nouveaux seigneurs de la guerre. Il n’y a plus deux intolérantes factions, mais désormais une multitude, et aucune réelle place pour la paix… Je suis réveillé, oui, et l’angoisse me gagne : sommes nous donc tous maintenant, impuissants,… sur la Frontière ?...